Reformuler la vision:
qu’est-ce qu’une Eglise de paix?
Contexte général:
La rencontre d’Eglise et Paix à Osijek est un symbole qui rappelle
une réalité fondamentale. Le contexte mondial a changé: de la guerre froide
nous sommes passés à la mondialisation. Nous avons quitté un monde
où deux blocs se confrontaient (contexte dans lequel Eglise et Paix est
né) pour entrer dans l’empire de la mondialisation. Dans cette nouvelle
situation, une puissance dominante semble capable d’imposer sa volonté politique
et économique. Sa culture populaire et sa langue se généralisent.
Auparavant, l’Union soviétique avait elle aussi une telle vision
uniformisante. L’histoire de l’humanité le démontre: tout impérialisme produit
des réactions «identitaires», des «guerres nouvelles“. Balkans,
Tchétchénie, Rwanda, Congo, Irak: confrontations d’ethnies, de peuples,
où la religion s’en mêle. On n’assiste plus à la
confrontation du communisme contre le capitalisme, car le capitalisme pense
avoir gagné. Mais cette victoire produit de nouvelles réactions de rejet.
C’est donc dans ce nouveau contexte que la vision d’«Eglise et Paix»
prendra forme aujourd’hui. Nous aimerions suggérer que plusieurs concepts
bibliques et théologiques tout simples pourraient contribuer à une
réflexion et à une action pour la paix renouvelées.
Images bibliques pour guider
cette vision
Nous l’oublions trop facilement: les convictions chrétiennes les plus
importantes ont toutes un lien avec la paix: réconciliation, amour, pardon,
rédemption. Nous n’exagérons pas en affirmant que la paix se trouve au centre
du projet de Dieu.
Car il a plu à Dieu
de faire habiter en lui toute la plénitude et de tout réconcilier par lui et
pour lui, et sur la terre et dans les cieux, ayant établi la paix par le sang
de sa croix…(Col 1, 19-20)
Mais comment passer de cette vision universelle de paix (qu’on pourrait
qualifier à juste titre d’abstraction théologique) à la réalité
de notre monde? Cette vision, comment prend-t-elle forme dans l’histoire, dans
la vie, plutôt que de rester au niveau d’une théologie coupée de ce qui se
passe dans le monde? Deux récits bibliques peuvent nous aider à «contextualiser»,
«concrétiser» une théologie de la paix.
1) Regard biblique sur la
mondialisation: la tour de Babel1
Il est tout à fait plausible de considérer le récit de la tour de
Babel (Genèse 11, 1-9) comme le premier effort humain de «mondialisation».
En effet, il s’agit d’une tentative de produire une civilisation urbaine
(construction d’une ville), dont la technique arrive à conduire les
humains jusqu’au ciel, jusqu’au domaine de Dieu (la tour), un monde où
tous parlent la même langue.
En même temps, nous voyons que Dieu n’accepte pas cette entreprise
impérialiste. Dieu ne reste pas indifférent («le SEIGNEUR descendit pour voir
la ville et la tour…»). Il met des limites («De là, le SEIGNEUR les
dispersa sur toute la surface de la terre»). Les efforts pour construire un
monde uniforme aboutissent à la dispersion, la séparation, au conflit,
à la confusion des langues,(«…qu’ils ne s’entendent plus les uns les
autres!»). L’effort d’unifier produit
l’éclatement. Comment décrire autrement
l’éclatement de l’Union soviétique ou l’ex-Yougoslavie? Comment comprendre
autrement les réactions négatives face à l’extension de la puissance
américaine et de sa culture ?
Le récit de la tour de Babel nous donne une lecture fondamentale de
l’histoire et de l’expérience humaine, et pose en même temps le contexte
pour comprendre la doctrine biblique de la rédemption.
2) La réponse biblique: la
rédemption
Quelle est la réponse de Dieu à la tour de Babel ? Une chose est
claire: la dispersion du chapitre 11 n’est pas le dernier mot de l’histoire.
Dieu ne s’en satisfait pas. Son projet, en réponse, est celui de la «bénédiction»,
celui de la «réconciliation» des familles dispersées et séparées. L’appel
d’Abraham (Genèse 12, 1-3) marque le début de ce projet.
Au lieu de se construire leur propre vie, Abraham et Sarah fondent leur
identité dans l’écoute du projet et de la parole de Dieu. Ils devront «quitter»,
c’est-à-dire laisser derrière, ce qui fonde dans la plupart des
cas, l’identité humaine (le moi, le pays, la famille, la maison familiale).
Autrement dit, ils relativisent ce qui est tellement souvent source de conflit
entre les groupes et les peuples. Leur identité se construira autrement, en
entrant dans un projet qu’ils ne comprennent pas totalement, qui n’est pas de
leur propre initiative.
Abraham et Sara seront le fondement d’un peuple, car le salut n’est pas
individuel. Pour un problème socio-politique (Babel), Dieu propose une
solution socio-politique (un nouveau peuple).
Ce peuple sera en bénédiction (fera du bien) aux familles séparées par
Babel. L’histoire humaine se construira à partir de la promesse, non pas
à partir de la réalité vécue de conflit et de séparation, de la volonté
de puissance et d’imposition.
Le Nouveau Testament voit la réalisation de cette promesse de Genèse
12 en Christ, dans la formation d’une communauté nouvelle.
Oui, vous tous qui avez été
baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif, ni
Grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre; il n’y a plus l’homme et la
femme; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ. Et si vous
appartenez au Christ, c’est donc que vous êtes la descendance d’Abraham;
selon la promesse, vous êtes héritiers.
(Gal 3.27)
Le projet de paix de Dieu est appelé à prendre forme, à
devenir visible, dans la nouvelle communauté qu’est l’Eglise. Malheureusement,
trop souvent au cours de son histoire, l’Eglise a oublié cette réalité
fondamentale. Son identité est devenue liée à des frontières de
race, de pays, d’empire. L’Eglise est trop souvent retournée à la
logique de Babel. Le «ni juif ni grec»
est trop souvent devenu «exclusivement européen, allemand, français,
américain, ou blanc» . Au lieu que l’Eglise soit facteur de paix, elle est
devenue facteur de discorde, de guerre et de haine, lieu qui se réduit à
la prédication et à la célébration de rites.
Une partie importante de la vision d’une Eglise de Paix, serait donc de
clairement formuler une ecclésiologie de paix, de revenir à cette vision
biblique de l’Eglise comme communauté de paix et de réconciliation, lieu du mur
brisé, le „ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme“. L’Eglise est un lieu concret de paix,
où le projet de Dieu cherche à prendre forme, à devenir
visible, en plein milieu de l’histoire.
Eglise et Paix: de la
vision à la réalité
Souvent quand on pense «Eglise», on pense «rites», «obscurantisme», «hiérarchie»,
«bâtiments grands et vides». Cependant, depuis un certain temps, les Eglises
se mobilisent pour la paix et contre la violence. Je pense à
l’engagement de l’Eglise catholique en faveur de la paix, contre la
première guerre du Golfe, contre la guerre en Irak. Je pense à la décennie pour vaincre la
violence du COE. Je pense à l’opposition de nombreuses Eglises (y
compris américaines) contre la guerre en Irak. Le contexte actuel favorise la
réflexion et l’engagement concernant les questions de guerre et de paix, de
violence et de non-violence, et Eglise et Paix devrait être présente dans
ce contexte. Voici quelques pistes de
réflexion dans ce sens.
a. que l’Eglise soit
l’Eglise (locale)
L’existence de l’Eglise un peu partout dans le monde est une chance pour
nous. C’est déjà une réalité.
Chaque Eglise, chaque paroisse, chaque communauté locale, est appelée à
devenir ce lieu du mur brisé, ce lieu où la paix, le «ni-juif-ni grec»
devient visible.
Trop souvent, nous ne voyons pas de lien entre les convictions ou les
liturgies chrétiennes et la paix. Nous avons du mal à faire le lien
entre le dimanche et le reste de la semaine. La théologie, le culte, les
sacrements, c’est une chose, la paix, la non-violence c’en est une autre. Mais
chaque dimanche, partout dans le monde, il est question de «bonne nouvelle»,
de «paix», de «pardon», de «repentance», de «réconciliation», d’«unité»,
du règne de Dieu.
Et si les Eglises déjà existantes (auxquelles nous appartenons, que
nous critiquons) devenaient un peu plus des signes de paix, des lieux de vie et
d’espérance, des signes concrets de l’Evangile de réconciliation??
Il est offert à chacun, chacune de nous de participer à une
communauté chrétienne locale. C’est
là notre première occasion de voir les convictions chrétiennes
prendre forme (amour de Dieu, amour du prochain, amour du frère et de la
sœur, amour de l’ennemi). C’est là que nous apprenons à
pardonner, à nous mettre en question, à mettre à l’épreuve
nos propres convictions sur la paix.
L’enjeu pour l’Eglise, pour chaque Eglise locale, c’est de franchir la
délicate frontière entre «rites», «prédication», «sacrements» et «vie
réelle». Dans ma propre expérience,
j’ai vu à quel point le «ni juif-ni grec» peut motiver la vie
communautaire quand on est en présence de groupes et de races différentes.
Beaucoup d’Eglises urbaines en Europe sont remplies de nationalités et de races
diverses, ce qui veut dire qu’une paroisse locale pourrait devenir un laboratoire
d’anti-racisme, pourrait devenir un lieu de partage entre de nombreux pays et
cultures. Ce n’est pas rien.
Une tâche importante des membres d’une Eglise de Paix, c’est d’amener cet
Evangile de paix au niveau des paroisses locales, trouver des partenaires, des
pasteurs, des catéchistes, faire de nos célébrations des lieux qui permettent
à l’Evangile de prendre forme dans la vie de tous les jours…faire de nos
prédications, de nos rites, des discours et des gestes de paix, de fraternité,
de pardon, de réconciliation… Beaucoup n’ont jamais réfléchi sur le lien entre
«rites», «convictions» et «paix». Trop souvent, les concepts chrétiens
renvoient à du «spirituel», à de l’invisible, au futur, et non
pas à la vie ici et maintenant, non pas à la paix «entre nous»,
à la possibilité du pardon, de vivre quelque chose de nouveau entre
groupes ou races différents, non pas à l’amour de l’ennemi. Une Eglise de Paix pourrait être le
sel au milieu de toutes ces Eglises locales qui sont de toute façon déjà
là. Elles ne sont pas à
créer, elles existent.
b. que l’Eglise soit
l’Eglise (catholique)
Du plan local, il serait important de passer à un autre niveau. La
composition du réseau des membres
d’Eglise et Paix témoigne de cette possibilité et encourage à aller plus
loin. Il est urgent de retrouver la notion (et surtout la réalité) d’une Eglise
«catholique» c.à.d. universelle.
Dans les premiers siècles de notre ère, au sein de l’empire
romain, il y avait un réseau d’Eglises composées d’hommes et de femmes,
d’esclaves et de maîtres, de juifs et de grecs. Ce réseau proclamait que «Jésus
est Seigneur», ce qui voulait dire que «César» ne l’est pas. Ce réseau créa de nouvelles formes et pratiques de
solidarité. Les théologiens de ce réseau (avant Constantin) enseignaient qu’on
ne devait pas tuer un autre être humain, quelles que soient les
circonstances.
Et puis l’Eglise est devenue impériale, puissante, hiérarchique. Et puis
cette Eglise s’est divisée, pour des raisons de culture, de langue, de théologie.
Et puis ces Eglises divisées se sont fait la guerre, se sont condamnées
mutuellement. Et aujourd’hui, la réalité
sociale de ces Eglises ne reflète plus cette vision «catholique», «universelle».
La réalité des Eglises est trop souvent facteur de conflit et de division (ou
au mieux, d’indifférence).
Recoller les morceaux entre chrétiens, c’est-à-dire le travail
œcuménique, est essentiellement un travail de paix et de
réconciliation. C’est pour cela que le
caractère œcuménique d’Eglise et Paix paraît fondamental. De
nouvelles occasions de dialogue et de témoignage s’ouvrent devant nous dans le
champ œcuménique (la vision de la faculté de théologie d’Osijek, la
décennie pour vaincre la violence du COE, la mobilisation récente contre la
guerre en Irak le montrent).
Je rêve que les Eglises existantes déjà partout, en Europe,
dans le monde, deviennent des «Eglises de paix», qu’elles aient cette vision
du «mur brisé» et qu’elles l’appliquent aux murs socio-politiques, entre les
communautés, entre les races, entre les nations.
Je rêve d’Eglises américaines qui se disent, «il y a des chrétiens
en Irak. Nous ne pouvons pas tuer nos frères et sœurs en Christ…»
Je rêve d’Eglises qui se disent, Jésus nous appelle à aimer nos
ennemis, qu’ils soient blancs, noirs, serbes, croates, hutus, tutsis,
musulmans, ou athées. Je rêve
d’Eglises qui osent dire publiquement: tout être humain est créé
à l’image de Dieu. Nous ne pouvons pas tuer.
Au sein de l’empire mondialisé actuel, je rêve d’une Eglise vraiment
«catholique», capable de se construire une identité en Christ et non pas en
fonction de la nationalité ou de critères économiques. Cette Eglise «internationale»
pourrait avoir un autre visage, un visage «global», elle pourrait constituer
des réseaux de solidarité autres, pourrait être un facteur contre la
guerre et la misère.
Notre œcuménisme de base est important, c’est un témoignage unique.
Sommes-nous capables d’apporter cette expérience à l’Eglise mondiale,
à d’autres niveaux, d’être vraiment présent sur les lieux
d’œcuménisme?
c. que l’Eglise propose des
modèles pour la société, qu’elle intervienne là où c’est
possible
Le simple fait d’exister comme communauté du «mur brisé» est une
manière importante de proposer un mode de vie social différent au monde
qui nous entoure. Nous ne devons pas sous-estimer l’importance de cette
fonction. S’il y a des hôpitaux, des écoles, des programmes d’aide social
aujourd’hui, c’est en large partie parce que pendant des siècles en
Europe, des chrétiens ont soigné des malades, ont compris l’importance de la
vie intellectuelle, ont aidé les pauvres.
Certains comportements jouent le rôle de modèle et ensuite sont
adoptés par le monde à l’extérieur des Eglises. Le rôle de «laboratoire»
social de l’Eglise n’est pas à négliger. L’action lente et persévérante
de groupes sociaux ayant des convictions fortes contribue probablement autant
sinon plus aux changements dans la société que les actions spectaculaires ou
médiatiques, ou les actions imposées d’en haut. Le travail pour la paix
s’inscrit dans la patience et dans la durée.
Par exemple, le cheminement vers la démocratie connaît des hauts et des
bas, n’avance pas aussi rapidement qu’on le souhaiterait. Mais il y a cinq
cents ans, la plupart des européens auraient probablement dit qu’en dehors de
la monarchie, aucune forme de gouvernement ne semblait souhaitable ou
possible. Aujourd’hui, la démocratie
fait son chemin, petit à petit et nous sommes sans doute tous d’accord:
une élection vaut mieux sur le plan social et politique qu’une guerre civile.
De même un monde où les décisions se prennent de manière
vraiment multilatérale.
Il nous faut aussi être
inventifs et créateurs, chercher des modes de présence dans la société en
dehors de l’Eglise, proposer des gestes et des actions fondés sur nos valeurs.
La paix du Christ, que nous cherchons à vivre dans nos communautés, nous
pousse vers le monde, avec des idées, des gestes, des pratiques. Nous aurons
à apprendre à traduire nos convictions, nos valeurs dans d’autres
langues, dans d’autres systèmes de valeurs.
Remarques finales: Garder
l’espérance, savoir entretenir notre vision par la célébration et la
prière
Etre une «Eglise de Paix» n’est pas chose facile. Pour devenir «Eglise
de Paix» et pour rester «Eglise de Paix», nous avons besoin d’une théologie
solide et d’une vie spirituelle bien enracinée en Christ.
Dans cet héritage théologique qu’il est important de cultiver se trouve
l’eschatologie. L’espérance en Christ est centrale: par sa vie, sa mort et sa
résurrection, les forces du mal et de la mort ont été vaincues. C’est là
que nous trouvons le sens et le moteur de l’histoire. C’est vers cette réalité
que nous cheminons. La réalité de ce projet de réconciliation de tout, la
réalité de cette bénédiction pour toutes les nations. «Nous attendons selon sa
promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite»
(2 Pierre, 3,13)
Mais il faut aussi savoir que nous ne sommes pas encore parvenus au but.
Cette victoire est «déjà» acquise, mais elle n’est «pas encore»
totalement réalisée dans l’histoire. Nous sommes dans l’attente d’une réalité
qui est devant nous. Mais en attendant, nous avons à introduire cette
espérance, cette réalité nouvelle dans le présent. L’attente est active, non pas
passive.
Si nous mettons trop l’accent sur le «déjà» du règne de
Dieu, nous risquons d’ignorer la réalité du mal qui est toujours présent dans
le monde (et en nous). Si nous mettons trop l’accent sur le «déjà»,
nous serons tentés d’agir à la place de Dieu, prendre des raccourcis, ou
nous serons trop naïfs devant des situations compliquées. Si nous mettons
trop l’accent sur le «déjà» nous sommes dans l’embarras, dans la
confusion lorsque la guerre arrive, lorsque nous n’avons pas pu
l’arrêter.
Si en revanche nous mettons trop l’accent sur le «pas encore», nous
acceptons simplement la réalité telle qu’elle paraît, ou nous risquons devenir
cyniques. Déjà et pas encore: nous vivons cette tension, c’est elle qui
guide nos pas. Et pour ce chemin, nous
avons besoin de patience, de douceur, de persévérance et de courage.
Cette tension entre le «déjà» et le «pas encore» nous aide
à cultiver un autre regard sur le monde et sur l’histoire, à
apprendre à lire la vie autrement, à chercher les signes de la
présence de Dieu, là où nous ne la soupçonnons pas. Les «pacifistes
activistes» peuvent eux aussi être tentés de regarder le monde en
fonction des critères des grands et des puissants. Une partie de notre
tâche consiste à cultiver cet autre regard, fondé sur l’espérance de
l’Evangile.
Ce regard, toujours fondé sur le Christ, affirme que les acteurs décisifs
de l’histoire ne sont pas les nations et les dirigeants, les puissants et les
riches, mais ceux qui suivent Jésus Christ dans leur vie quotidienne, ainsi que
les petits et les oubliés de notre monde. Cela nous pousse à lire et
à raconter l’histoire des peuples et de notre propre vie d’une autre
manière.
Ce que nous faisons aujourd’hui ou demain dépend souvent de la
manière dont le passé nous est raconté…. Pour ouvrir un avenir nouveau,
il nous faut relire le passé. L’histoire doit être «enlevée» à
ceux qui ne racontent que les dynasties et les batailles. Depuis presque
toujours, on n’apprend que le côté violent de l’histoire. Et si l’on regardait
le passé de façon nouvelle, à la lumière de la Seigneurie du
Christ, ne pourrions-nous pas voir autre chose? Si l’on racontait la vie des
gens ordinaires, et non pas des grands, si l’on jugeait une civilisation non
pas par le succès de ses armées, mais par la manière dont elle
traite le pauvre et l’étranger, dont elle cultive la terre?
Ce qui compte dans l’histoire, c’est beaucoup moins le nom du premier
ministre ou bien quelles lois ont été rédigées, l’apparition de tel coup d’état
ou tel système nouveau de défense antimissile, que l’accumulation lente
de gestes et de faits très petits: les parents qui élèvent leurs
enfants, les enfants qui apprennent à l’école, les artisans qui font
bien leur travail, les médecins qui savent soigner leurs patients, les
conducteurs qui restent sur la route, les policiers qui évitent les bavures,
les gens qui savent aimer et pardonner, les conflits qui sont gérés et résolus
dans les coulisses…
Il en est du Royaume de Dieu
comme d’un homme qui jette la semence en terre: qu’il dorme ou qu’il soit
debout, la nuit et le jour, la semence germe et grandit; il ne sait comment (Marc 4, 26-27).
Le Royaume des cieux est
comparable à du levain qu’une femme prend et enfouit dans trois mesures
de farine, si bien que toute la masse lève. (Matthieu 13, 33).
Cultiver un regard nouveau, fondé sur l’espérance en Christ, dans nos
communautés locales, dans une Eglise vraiment catholique, dans notre présence
au sein de la société et du monde. Savoir maintenir ce regard lorsque les
journaux ne parlent que de la guerre, de l’argent, des puissants, C’est surtout dans ces moments-là que
nous devons continuer à célébrer et à prier, à enraciner
notre vie en Christ, à inviter l’Esprit à venir demeurer en nous
pour renouveler et façonner notre intelligence et nos gestes. «Recherchons ce
qui contribue à la paix»: dans notre prière, dans notre vie,
dans notre regard sur le monde et sur les autres.
Neal Blough
mai 2003