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Aimez la Vérité et la Paix

Editorial :

Du 28 au 30 mai 1999, un Symposium à l’occasion des 50 ans d’existence du mouvement "Church and Peace" a eu lieu près de Bâle.
C’est à la suite des terribles expériences de la deuxième guerre mondiale qu’en 1949, les représentants et représentantes des Eglises de paix historiques et des Eglises européennes se sont rassemblés, pour se poser la question suivante : Comment, à l’avenir, les Eglises pourraient–elles empêcher la guerre, au lieu de la justifier théologiquement ?

Au cours des discussions lors des conférences de Puidoux, il apparut qu’il ne s’agissait pas seulement de traîter d’une question d’éthique mais de s’interroger sur la forme et la façon d’exister de l’Eglise elle–même. Quelle forme faut–il à l’Eglise pour qu’elle devienne un lieu de réconciliation et de partage , et pour que le principe de la non–violence active, l’un des enseignements fondamentaux de la vie de Jésus, la conduise à un service non–violent pour la paix ?

Pendant les 50 dernières années, ce dialogue a abouti à la constitution d’un réseau européen européen et oecuménique regroupant les Eglises de paix historiques, des paroisses, des communautés chrétiennes et des services pour la paix, qui depuis 1975, porte le nom de “Church and Peace”.

Personne ne se doutait lors de la préparation du Jubilé, que nous vivrions en cette fin de siècle en Europe encore une guerre, en ex–Yougoslavie . Ainsi, le thème de notre Symposium : “Aimez la vérité et la paix” (Zacharie 8: 19b), devint–il bien involontairement d’une actualité brûlante.

La présente documentation montre que face à cette guerre, la recherche de la vérité et la question de notre responsabilité en tant que chrétiens, ont constitué l’accent essentiel du Symposium. Un bon résumé de l’ensemble du Symposium est proposé ci–joint par Ruth Winsemius. De plus, les résultats du “carrefour” sont résumés sous forme de thèses.

Dans sa prédication, Keith Clements montra ce que signifie pour l’Eglise "aimer la paix" dans un pareil conflit. Les expériences faites par lui à Belgrade en tant que secrétaire général du de la Conférence Européenne des Eglises, l’ont fait plaider en faveur d’un oecuménisme qui ne choisisse pas la voie de la facilité.

Vous trouverez enfin dans ce fascicule la déclaration du Bienenberg, sur laquelle se sont engagés les participants lors du culte, pour réaffirmer ensemble la position et l’engagement des Eglises de Paix dans le contexte des événements actuels.

Août 1999
Christian Hohmann
Traduction : Blaise Amstutz & Marie-Noëlle von der Recke

Déclaration du Bienenberg


Nous - chrétiens de nombreuses églises et communautés - nous sommes rassemblés au Bienenberg près de Bâle (Suisse) du 28 au 30 mai 1999 pour célébrer le cinquantenaire du mouvement de Church and Peace («Église et Paix»).
C’est dans un contexte de crises graves et de guerres dans de nombreuses parties du monde que nous nous rencontrons. Nous sommes atterrés par les bombardements des pays de l’OTAN sur la Yougoslavie et par l’expulsion de la population albanaise du Kosovo menée par la Yougoslavie.
Marchant à la suite de Jésus, nous apprenons ce que signifie vivre en tant qu’Église de Paix. Cette vie et cette vision sont pour nous un défi et une promesse et nous invitons tous les chrétiens à y prendre part avec nous.

Selon notre expérience, l’Église de Paix a cinq caractéristiques essentielles:

1. Elle annonce l’évangile de la Paix: Nous annonçons la Bonne Nouvelle de la Réconciliation et de la Paix (2 Cor.5,19) par Jésus-Christ qui est notre Paix (Eph.2:14). Nous avons reçu cette bonne nouvelle gratuitement. Nous avons nous-mêmes besoin de cette Bonne Nouvelle et nous l’offrons sans condition à tous ceux qui sont également dans le besoin, à ceux surtout qui se sentent défavorisés et exclus (Marc 2:17).

2. Elle accepte tout être humain - même l’ennemi. Jésus-Christ nous apprend qu’il faut aimer nos ennemis et prier pour eux (Matt.5:44) même si nous sommes appelés à résister par la non - violence au mal et à l’injustice qu’ils commettent. Nous-mêmes étions les ennemis de Dieu (Rom.5:8) et demeurons impliqués dans un monde de péché et de violence, mais Jésus-Christ nous a réconciliés avec Dieu, les uns avec les autres, et avec tous nos ennemis. Nous voulons jeter des ponts de compréhension et de paix vers ceux que nous ou nos pays respectifs déclarent ennemis.

3. Elle refuse la violence. Nous devons tout d’abord reconnaître notre propre violence et refuser d’en faire usage personnellement ou de la justifier comme instrument de pouvoir à quelque niveau que ce soit (familial, social, national ou international). Nous nous efforçons d’apprendre et de mettre en pratique les méthodes de transformation non-violente des conflits et de promouvoir la formation à ces méthodes.

4. Elle s’engage auprès des victimes de la violence. Nous sommes déterminés à ne pas fermer les yeux sur les sacrifices sanglants engendrés par la violence. De même que Jésus en son temps était auprès des victimes de l’oppression et de la violence, nous aussi nous voulons être auprès de ses victimes aujourd’hui. Nous voulons nous efforcer d’être pour les opprimés des partenaires dignes de confiance, même dans des situations dangereuses.

5. Elle vit la communauté et la solidarité. Pour réaliser cette vision, nous avons besoin les uns des autres, dans nos communautés, paroisses et assemblées respectives et dans la communion avec les Chrétiens du monde entier. Notre citoyenneté est dans «les Cieux» (Phil.3:20) et nous sommes le Corps du Christ (1 Cor.12:27). C’est pourquoi tous les liens ayant trait à la nationalité, l’ethnicité, la terre - bien qu’ils aient leur importance - n’ont pour nous qu’une valeur relative. L’Église de Paix cherche à être l’expression sociale du monde nouveau voulu par Dieu. Ses communautés vivent en contraste avec la société environnante; en elles la justice, la paix, la miséricorde et la vérité peuvent s’épanouir. Nous invitons chacun à partager avec nous cette vision et à en découvrir la réalité dans sa propre Église ou communauté.

24 juin 1999

“Nous essayons d’être une lumière pour l’humanité...”


“Je sais bien qui est la vérité, mais je ne sais pas ce qu’est la vérité”.

Lors de la rencontre de Church & Peace au Bienenberg, le dernier week-end du mois de mai, la voix chargée de soupirs de la serbe Jasmina Tosic s’est élevée dans le bruit confus des voix comme un “Cantus Firmus”. Le Symposium s’est tenu à l’occasion du 50me anniversaire de Church & Peace. Des “artisans de paix” de différentes nationalités se sont rencontrés au Centre de Formation du Bienenberg en Suisse et ont partagé leurs expériences. Mais avec le recul, se sont les participants serbes, venus directement de Belgrade pour nous parler de “leur” guerre, une guerre dont peut-être personne ne voulait, qui ont laissé l’impression la plus profonde.

Incompréhension, peur, incrédulité, et surtout l’angoissante question : Que sera l’avenir ? Qu’arrivera-t-il à nos familles, à notre peuple ? Serons-nous seulement encore en vie après-demain ? Un étonnement incrédule d’avoir pu échapper à la guerre pour un court temps, car demain il faudra bien rentrer - tout cela se lisait dans les yeux des participants serbes et surtout dans les yeux de Jasmina, une des deux coordinatrices de l’organisme “Pain de Vie” (Bread of Life). Des bombes à Belgrades ? Jamais l’OTAN ne le fera. Elle le croyait encore, lorsque les bombardements ont commencé. Elle était juste en train de donner une interview au téléphone à un correspondant américain (sic) sur la situation de son pays. Son frère la secoua, lui prit l’écouteur des mains, et dit à l’interlocuteur américain. “Les frappes ont commencé”. Puis il coupa la communication.

L’origine de Church & Peace

Après 50 ans, Church & Peace demeure un mouvement, un réseau d’églises de paix et de groupes pacifistes dans les églises, et non une organisation. Interrogé par une jeune “travailleuse pour la paix”, Wilfried Warneck, un des membres de la première heure, a raconté comment Church & Peace est né à l’initiative de quelques américains (entre autres Zigler) et d’anglais après la fin de la 2me guerre mondiale avec l’appui d’un mouvement semblable aux Etat-Unis, où les thèses du mennonite Harold Bender avaient une grande influence. C’est par la vie des disciples que le Royaume de Dieu prendra sa forme. Jésus avait le souci des perdus, des pauvres. C’est avec eux qu’il prenait ses repas. Jésus a aussi enseigné qu’il faut aimer ses ennemis et ne pas utiliser de violence - ni dans le cadre du sevice militaire, ni dans le cadre d’une autre structure. Ce n’est qu’ainsi que peut naître une communauté de paix qui se distingue des églises traditionnelles qui se contentent avant tout de donner une base religieuse à une société marquée par la violence. Les premières années de Church & Peace - les conférences de Puidoux - suscitèrent beaucoup d’intérêt parmi les théologiens présents; jusque là pendant leurs études, ils avaient entendu peu de choses positives au sujet des Mennonites et des Quakers. D’après Wilfried Warneck, les idées des Eglises de paix n’ont pas manqué d’influencer les grandes Eglises et une évolution similaire put être observée çà et là. La constitution d’un réseau de contacts s’imposait.

C’est ainsi que pour le 50me anniversaire de Church & Peace se sont rassemblés en plus des représentants des assemblées mennonites (la moitié des participants), des quakers, des communautés de base, des protestants (entre autres de Roumanie et d’Ukraine), des catholiques (Karl Eilers, Pax Christi International à Bruxelles), tout comme les soeurs de la Communauté de Grandchamp (Suisse) et même quelques orthodoxes de l’Europe de l’Est. Wilfried Warneck a regretté qu’il n’y ait pas d’églises de paix en Yougoslavie. D’après lui, s’il y en avait eu, moins de personnes dans ce pays auraient pris les armes. Plus de personnes auraient pu appliquer les principes de “défense civile” et les militaires n’auraient pas eu la partie si facile. A la dernière question de l’interview posée par Anita Thomas, quel était son plus grand souhait, il répondit : “Un Puidoux permanent, ou un concile de paix auquel participent toutes les Eglises”.

Quand les ennemis deviennent des amis

Comment mettre en pratique toutes ces théories ? Un autre centretien, également entre deux générations, a tenté de répondre à cette question,, entre Pascal Gentner, fils d’un volontaire EIRENE et lui-même ancien volontaire aux Etats-Unis et Hildegard Goss Mayr, qui avec son mari Jean Goss a parcouru le monde et appelé à la non-violence et à la réconciliation en des lieux où ces termes semblaient être dépourvus de sens.

Hildegard Goss Mayr sait de par sa propre expérience qu’il faut passer soi-même par une conversion. Il lui semble important aussi de tenir compte des “signes du temps”, par exemple d’analyser la montée des dictatures et d’en tirer un enseignement pour sa propre action. D’après elle, la non-violence a été ces dernières 50 années un instrument décisif dans la lutte contre l’injustice. Les preuves ne manquent pas : c’est par la non-violence que le “rideau de fer” est tombé, et cela a marché aussi en Amérique du Sud et aux Philippines. “Nous avons fait un travail de fond avec les personnes. Nous avons fait comprendre aux forces révolutionnaires le besoin de la solidarité. La non-violence est une force de réconciliation et de pardon”. Il ne suffit pas de combattre l’injustice, il faut proposer des alternatives pour tranformer progressivement les structures et constuire des relations de partenariat entre des goupres ennemis. Hildegard Goss Mayr a plaidé pour des “travailleurs de paix” compétents, présents sur les territoires en guerre et capables d’intervenir ailleurs pour la prévention de la violence. “Spiritualité et intervention pratique vont toujours de pair”, disait-elle. Pourtant elle-même et son mari ont reconnu leurs limites. “Quant on a fait tout ce qu’on pouvait faire, il faut laisser le reste à Dieu”.

Table ronde

Les participants de la table ronde venaient des horizons les plus divers : Hansulrich Gerber (MCC), Ulrich Duchrow (Kairos Europa), Karel Eilers (Pax Christi International), Marie-Pierre Bovy (Communauté de l’Arche, France), Janko Jekic (Baptiste, Pain de Vie, Belgrade), Gyula Simonyi (BOKOR, une communauté de base en hongrie) et Cor Keijzer (pasteur de l’église réformée à Einschede, Pays-Bas) avec Christian Hohmann (secrétaire général, Church & Peace) comme animateur. Bien que les autres pays en guerre de notre monde n’étaient pas oubliés et on été inclus dans les prières d’intercession pendant le week-end, la guerre si proche en ex-Yougoslavie a été au coeur des débats : Comment évaluer la situation aux Balkans et que pouvons-nous faire ? Sommes-nous capables d’envoyer une déclaration à nos gouvernements, nos églises et nos communautés ? Ce sont les questions posées d’emblée par les animateurs.

Marie-Pierre Bovy a rendu compte d’un jeûne auquel ont participé des membres de sa communauté durant 3 semaines, jusqu’au 3 juin, avec des temps de prière matin et soir. Les objectifs de cette action sont à la fois politiques et spirituels. Dans un communiqué de presse, la Communauté de l’Arche a exprimé son regret que l’on n’ait pas soutenu davantage le leader de l’opposition yougoslave Rugova. Le problème crée durera encore longtemps.

Janko Jekic a rappelé la création de Pain de vie. Tout a commencé en 1992 par l’aide donnée à 10 femmes. Ces trois dernières années, 5000 familles ont été secourues d’une façon ou d’une autre. Quand la guerre a éclaté au Kosovo, lePain de Vie a apporté des secours pour les distribuer aux serbes et aux albanais en prenant de gros risques. Mais depuis le début des frappes, tous les contacts sont coupés. Il y a moins de moyens, les bombes n’ont pas seulement touché des objectifs militaires, mais aussi des usines de produits alimentaires et pharmaceutiques. Comme toujours pendant une guerre, il est très difficile d’apprendre la vérité. Janko Jekic rapporte des divergences ahurissantes dans les informations quand il compare par exemple les nouvelles de CNN ou des radios allemandes, avec celles qui viennent de Serbie.

Gyula Simonyi est membre du mouvement de paix catholique romain BOKOR qui existe depuis 50 ans . Beaucoup de ses membres ont été en prison. BOKOR élabore des programmes de formation pour le travail en faveur de la paix et installe entre autres quelques sites sur Internet pour faire connaître les idées de ce mouvement.

Karl Eilers a raconté comment Pax Christi est né, immédiatement après la 2me guerre mondiale, comme un mouvement de laïcs, à l’intérieur de l’Eglise catholique romaine pour la réconciliation entre français et allemands, quelques choses d’inouï si peu de temps après la guerre. Depuis, Pax Christi travaille non seulement en Europe, mais aussi en Amérique latine, en Afrique et en Asie. La branche allemande de Pax Christi se bat actuellement pour obtenir une interruption des frappes de l’OTAN, pour rendre possible un dialogue, car “les frappes aériennes ne font qu’augmenter la haine”.

Kairos Europe analyse les relations économiques entre les pays du Nord et du Sud, de l’Ouest et de l’Est, et recherche les origines de la violence. Ulrich Duchrow est persuadé qu’en Yougoslavie aussi, les motifs économiques sont déterminants dans les frappes aériennes. Par ailleurs, Kairos travaille aussi à élaborer des propositions pour la sauvegarde de la création. Le document Kairos Europe, bien connu maintenant, a été traduit en 11 langues.

Il semble évident que l’oeuvre de secours de MCC devrait être connue partout. Il faut pourtant souligner que le succès du travail de MCC dépend de la collaboration efficace avec les partenaires locaux dans les différents lieux d’acitvité. Pendant le Symposium, des contacts ont été pris. Le MCC a retiré ses collaborateurs de la Serbie à cause des frappes, mais continue à travailler avec le Pain de Vie, dit Hansulrich Gerber.

OTAN

Il y eut dans le public beaucoup de réactions et de récits. Les réfugiés albanais du Kosovo n’ont évidemment pas été oubliés. Une des personnes présentes déclarait avoir “mangé le pain et bu les larmes des albanais”. Elle a demandé aux groupes de paix de se mettre en relation avec les organisations albanaises dans les différents pays. “Nous devons essayer d’éviter au Monténégro et en Macédoine ce qui est arrivé au Kosovo”.

Ionei Popescu, un prêtre orthodoxe de la Roumanie, limitrophe avec la Serbie, montre à quel point l’OTAN joue avec le feu. “La Roumanie et la Serbie n’ont jamais combattu l’une contre l’autre. L’OTAN survole actuellement la Roumanie pour aller en Serbie. Beaucoup de roumains croient que les frappes de l’OTAN sont une erreur. Lorsque Clinton était en Roumanie, les roumains ont souhaité devenir membre de l’OTAN. Maintenant ce pays manifeste contre l’OTAN. Les frappes sont aussi une tragédie pour l’écologie. Dans les régions frontalières, les plantes souffrent, les hommes se sentent mal, la campagne toute entière a mauvaise mine. Les roumains voudraient bien venir au secours des habitants de la Serbie”. Clemens Ronenfeld a fait remarquer que l’OTAN, au départ neutre et médiateur, est devenu une partie du conflit. Cela à l’appui de la nouvelle doctrine de l’OTAN.

Lumière pour d’autres

Pendant tout ce temps, les autres serbes présents n’avaient fait qu’écouter, le soir c’était à leur tour de prendre la parole et de répondre aux questions. Janko Jekic a raconté que les Mennonites ont apporté de l’aide dès le début de la crise. Alex Schaub, parle de 240 albanais protestants kosovars dont on a perdu la trace. 40 d’entre eux auraient été signalés récemment en Macédoine, mais on ne sait rien des autres.

Keith Clements (secrétaire général de la Conférence des Eglises d’Europe, KEK) était revenu de Belgrade samedi. Il a fait partie d’une délégation de 3 personnes qui se sont entretenues avec le président Milosevic et le négociateur russe Tschernomyrdin. Parallèlement, dans le cadre d’une initiative diplomatique, un petit groupe s’est rendu à Vienne et à Moscou “pour maintenir le dialogue et l’approfondir de part et d’autre”. Jasmina Tosic a commenté le rôle du Pain de Vie à Belgrade : “Nous essayons d’être une lumière pour l’humanité. En Proverbes 31, il est dit que nous devons ouvrir la bouche pour ceux qui ne peuvent parler pour eux-mêmes. Nous apportons de l’aide aux victimes de ceux qui veulent dominer. Nous donnons à manger aux pauvres. J’ai aidé des personnes venues d’autres régions et j’ai écouté leur histoire. Maintenant, il me faut aussi secourir ma propre famille. Ma mère est malade, mon père ne supporte pas toute cette injustice. Mon frère va peut-être se faire mobiliser... Et pendant ce temps, les albanais sont pourchassés en tous sens, c’est terrible. Quant à l’avenir, je ne sais que dire. Ce que j’aimerais le plus, c’est l’arrêt immédiat des frappes de l’OTAN”.

Le geste de Marie-Noëlle von der Recke, présidente de Church & Peace, pendant le culte de dimanche était à la fois émouvant et lourd de sens : En silence, elle posa une écharpe de soie sur les épaules des serbes. En signe de consolation, de compassion, en souvenir d’un Symposium qui a démontré plus que jamais auparavant que la paix ne peut être obtenue par la violence.
Ruth Winsemius
Traduction : Louise Nussbaumer


Déclaration issue du carrefour :

“Notre responsabilité commune dans une Europe en évolution -Comment répondre à la guerre, au génocide et aux expulsions dans les Balkans ?”


L’après midi du 29 mai 1999, pendant le symposium célébrant le cinquantenaire de Church & Peace, se tenait un carrefour sur le thème “Notre responsabilité commune dans une Europe en évolution -Comment répondre à la guerre, au génocide et aux expulsions dans les Balkans ?” . Ruth Winsemius en a fait un rapport dans l’article qui précède. Pour faire connaître les résultats de ce carrefour, les modérateurs Cor Keijzer et Christian Hohmann avaient préparé un communiqué de presse qui fut bien reçu par la majorité des 80 personnes présentes. Cependant, le processus nécessaire de révision empêcha la publication du document immédiatement après le symposium. Voici un résumé des points principaux de la discussion.

Déclaration

Voici trois conclusions des discussions :


1. Beaucoup de nos pays d’origines sont en situation de guerre. Sans déclaration officielle de guerre, les forces de l’OTAN ont lancé une offensive au Kosovo dans une situation de crise et où se pratiquaient les atrocités et le nettoyage ethnique, une offensive qui a contribué à accélérer le génocide déjà en cours.

- Nous, qui venons de pays dont la plupart font partie de l’OTAN, portons une part de responsabilité dans cette situation.
- En tant que chrétiens, nous ne pouvons justifier aucune forme de guerre. Aussi nous ne voulons pas atténuer le sérieux de l’offensive militaire de l’OTAN en l’appelant une “intervention humanitaire”. Aujourd’hui, plus que jamais, nous sommes appelés à proclamer l’Evangile.

Le premier aspect de cette Bonne Nouvelle, c’est le refus clair de la guerre et de tout ce qui conduit à la guerre : l’injustice, l’expulsion, la discrimination envers les minorités ethniques et le génocide. Mais nous sommes aussi appelés à soutenir toutes les initiatives qui vont dans le sens de la paix, comme par exemple l’action des nombreux groupes en faveur de la paix et de la réconciliation en ex-Yougoslavie qui ont travaillé depuis des années pour une meilleure entente dans ce pays, et dans d’autres régions en crise.

2. Lors d’une guerre, il est crucial de voir et de rapporter la vérité, surtout en ce qui concerne le type d’informations que chaque partie tend à manipuler en temps de conflit. Aussi nos initiatives chrétiennes pour la paix doivent chercher à rétablir la vérité, car c’est la première étape vers une désescalade du conflit et vers la paix.

- Nos efforts en tant que membres et amis de Church & Peace consistent à aider à établir la vérité en permettant à tous ceux qui sont affectés par la guerre de faire entendre leur voix.
- Une analyse de la situation courante par des personnes indépendantes comme les observateurs de l’OCDE, ou par des membres de groupes pour la paix indépendants, afin de connaïtre la vérité et la complexité de la situation globale, est nécessaire. Le chemin vers l’établissement de la vérité est l’action réconciliatrice de Dieu décrite dans les Evangiles.
- Il n’y a pas de réconciliation sans vérité, ainsi que le montre l’exemple de l’Afrique du Sud et les efforts de la Commission Justice et Vérité.
- Nous déplorons que les informations de la presse soient si partisanes. Il n’est pas vrai, ainsi qu’on l’entend, que dans une telle situation il n’y ait de choix qu’entre continuer le bombardement ou être des observateurs passifs.
- En outre, les informations de la presse donne l’impression que le Kosovo est le seul endroit où le génocide et les expulsions se produisent. La presse ignore largement des situations semblables comme au Kurdistan, au Soudan, en Afrique Centrale, en Angola, en Indonésie et ailleurs encore ...

3. Nous appelons les politiciens à renforcer leur soutien envers les groupes qui travaillent à réduire et à résoudre les conflits ethniques.
Nous leur demandons une plus grande volonté pour libérer des ressources financières en faveur du développement de la résolution non-violente des conflits. Il semble beaucoup plus facile de dépenser les fonds publics pour des bombes que pour la reconstruction indispensable suite à toute guerre en faveur de la population affectée par les combats et les expulsions.
Nous demandons la reconnaissance de ceux qui ont été objecteurs de conscience ou déserteurs, refusant d’obéir aux ordres d’un gouvernement inhumain. Nous demandons que l’asile et le statut de résident temporaire soit garantis dans les pays de l’OTAN à tous ceux-là.

trad sgp


“Aimez la vérité et la paix”


5O ans c’est long ! Mais certains d’entre nous peuvent quand même se souvenir de 1949. J’étais un petit garçon à cette époque-là, et je dois confesser que je ne me souviens pas que la naissance de Church & Peace (ni d'ailleurs de celle de l’OTAN !) ait marqué mon esprit d’enfant. Mais un autre événement l’a marqué. Cette année-là, mes parents m’emmenèrent, moi et mes frères, en vacances chez ma grand-mère à Londres. Un soir, les membres plus âgés de la famille commencèrent à parler de la guerre qui avait pris fin quatre ans plus tôt : le bombardement de Londres, les maisons de cette rue qui avaient été détruites, les bâtiments tout proches qui avaient brûlé pendant des jours, la peur qui montait à l’approche de la nuit... Ce soir-là, je suis allé au lit assez effrayé. Quelques jours plus tard, j’ai posé à mon père une question qui m’avait taraudé : “Papa, combien de temps est-ce ça dure une guerre?” Je m’attendais à ce qu’il réponde quelque chose comme “trois semaines”, ce qui pour moi, à l’époque, semblait déjà très long. J’ai eu du mal à le croire quand il m’a répondu :”Et bien celle-ci a duré environ six ans”. Ce jour-là j’ai découvert une nouvelle vérité sur le monde dans lequel j’étais né.

Il y a juste cinq semaines, je me trouvais au centre de Belgrade à la nuit tombée, et je regardais les missiles antiaérien qui tournoyaient dans le ciel nocturne, et j’entendais le son des missiles qui explosaient. Le jour révéla des ponts détruits, des bâtiments éventrés, des volutes de fumées provenant des raffineries de pétrole en train de brûler. J’ai eu l’impression d’être de nouveau un petit garçon. Est-ce que cela arrivait vraiment aujourd’hui au coeur de l’Europe ? Ce dont mes parents et ma grand-mère avaient parlé ? Ce que les livres sur la guerre et les films de ma jeunesse m’avaient montré ? Il faudrait encore mentionner les horribles histoires racontées par les réfugiés fuyant le Kosovo. Une partie de moi ne pouvait l’accepter. Mais une autre disait “oui, c’est comme cela qu’est le monde”...

La vérité et la paix. Trop souvent, nous nous nous sentons poussés à les dresser l’une contre l’autre. Comment admettre la réalité du monde, et pourtant croire qu’il devrait être en paix ? C’est le défi auquel est confronté un mouvement comme Church & Peace, spécialement au moment de la célébration de son 50ème anniversaire. J’espère que c’est aussi un défi auquel toutes les églises se sentent confrontées, surtout les églises d”Europe. La réalité face aux idéaux; les expériences douloureuses face aux visions; les royaumes de ce monde d’un côté et le royaume de Dieu de l’autre... Il semble que nous ne puissions sortir de ce dilemme. Bien sûr, nous pouvons y échapper, au moins de deux façons. L’une est de se mette du côté de ce qui semble être la réalité: il ne fait pas bon vivre dans ce monde, “faisons contre mauvaise fortune bon coeur”, choisissons le moindre mal, allons faire la guerre à contre-coeur si nous arrivons à trouver suffisamment de raisons de la déclarer “juste”. L’autre façon est de s’en tenir à nos idéaux, nos espoirs et nos visions de paix en restant dans un monde de rêve douillet et confortable, mais en évitant le dur contact avec le monde tel qu’il est, et en blâmant ce monde parce que ne nous suivant pas, il se retrouve dans des situations désastreuses.

L’Eglise chrétienne, cependant, ne peut choisir aucune de ces portes de sortie si elle veut rester fidèle à ses principes fondamentaux. Notre foi est une foi incarnée. La parole est devenue chair. Dieu lui-même s’est fait matière dans ce monde qu’il a lui-même créé, afin d’y apporter la vraie vie. Comme Irénée le dit au 2ème siècle, “Il est devenu ce que nous sommes, afin que nous puissions devenir ce qu’il est”. Quand nous parlons de vérité, cette vérité-là est le fondement pour nous, chrétiens. Le poète T.S. Elliot l’exprimait bien quand il écrivait que :”Les êtres humains ne peuvent pas supporter la réalité à trop forte dose”. Mais si l’incarnation est pour nous la vérité fondamentale, nous ne devrions pas avoir peur de faire face aux réalités les plus laides de notre monde.

“Aimez la vérité et la paix”. Alors, nous ne sommes pas obligés de les dresser l’une contre l’autre. La vérité est une condition préalable à la paix. L’Afrique du Sud en donne un exemple remarquable par l’établissement des “Commissions Vérité et Réconciliation”, présidées par l’archevêque Desmond Tutu. L’expression de la vérité fait partie du processus de paix. Il faut que la vérité soit dite pour qu’il y ait un réel espoir de paix pour l’avenir. Il faut que les blessures et les plaies soient exposées pour qu’elles puissent guérir, que les péchés soient confessés pour qu’il puisse y avoir pardon et réconciliation. C’est facile à dire. Le vivre peut être douloureux et coûteux - et cela prend du temps. La dernière fois que j’étais en Afrique, c’était il y a trois ans, pour le “International Bonhoeffer congress” à Cape Town. Beaucoup avaient trouvé inspiration et ressources dans leur lutte contre l’apartheid dans le témoignage de Dietrich Bonhoeffer contre le nazisme. Nombreux aussi sont ceux en Afrique du Sud qui continuent à trouver pertinente sa pensée dans la nouvelle situation de travail pour la réconciliation, une réconciliation qui doit être fondée sur la vérité, ce qui demande la confession de la culpabilité. Pendant une de ces réunions, j’ai fait la connaissance de deux personnes qui découvraient quel était le prix de la confrontation à la vérité. L’un d’entre eux était un jeune pasteur luthérien noir; Quand il était enfant, sa famille avait fait partie des victimes d’un nettoyage ethnique du Transvaal et avait été abandonnée dans le dit “homeland de Bophutatswana” dans des conditions de misère incroyable. L’autre était un Afrikander du même âge, originaire du Transvaal, et d’un milieu très privilégié. Il se détachait peu à peu de son éducation protégée dans l’Eglise Réformée Hollandaise. Il m’a dit que ses yeux avaient commencé à s’ouvrir à la réalité de ce qui se passait dans son pays, quand, aspirant pasteur dans cette église, on lui dit qu’il ne pourrait être ordonné avant d’avoir fait son service militaire. Ainsi se retrouvaient deux jeunes hommes , tous les deux instruits, de bonne volonté, montrant leur intérêt théologique commun par leur assistance à ce Congrès : on aurait pu s’attendre à ce qu’ils se rapprochent immédiatement.

Mais non. Chacun à son tour me raconta sa conversation avec l’autre. Comme le ton avait vite monté des deux côtés... Le luthérien noir voulait savoir comment il était possible qu’un blanc ignore ce qui était arrivé à son peuple. “Est-ce que vos parents ne le savaient pas ? Est-ce qu’ils voulaient le savoir ?” Le réformé hollandais blanc, lui, était blessé de ce qu’aucune explication, aucune excuse ne semble être suffisante. La colère engendre la frustration en retour. Mais ils continuèrent leur échange. Ils quittèrent le congrès en ayant fait les premiers pas pour devenir amis, tout en réalisant qu’il leur restait encore beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Aussi ils avaient décidé de se voir les jours suivants. Cela prend du temps, c’est douloureux, de dire la vérité et de la recevoir.

Nous pourrions dire la même chose plus près de chez nous. Quand notre groupe de trois personnes partit de Genève pour Belgrade il y a cinq semaines, l’objectif principal de notre visite était de rencontrer les responsables des églises sur place, en particulier ceux de l’église serbe orthodoxe, pour échanger nos points de vue et nos compréhensions du conflit - surtout concernant ce qui se passait au Kosovo. C’était un exercice de dialogue oecuménique. Si, ainsi que Dietrich Boenhoffer nous l’avait enseigné, il existait ce qu’il appelait “la grâce à bon marché”, il existait aussi un oecuménisme à bon marché, qui ne coûte rien. Dans les cercles occidentaux, des allégations sur la position de l’église serbe orthodoxe en particulier avaient été faites. Il est alors assez tentant de choisir une des deux approches. L’une est de lancer des critiques de loin, un peu comme les missiles de croisière. L’autre est de flatter l’église en question et dire “tout est très bien, nous sommes tous de bons chrétiens finalement”. Aucune de ces deux approches ne coûte quoi que ce soit. Elles représentent des formes d’oecuménisme à bon marché. Il est cependant beaucoup plus difficile d’avoir une rencontre honnête et personnelle, de risquer de mettre l’église devant ce que vous percevez comme la vérité, et de risquer à son tour le même traitement. C’est un oecuménisme coûteux. Et, en ce qui me concerne, j’espère que la CEC sera toujours identifiée à cette forme-là.

C’est pourquoi il nous faut bien entendre ce que dit notre texte : “aimez la vérité et la paix” : pas seulement les chercher ou y travailler, ou essayer de les établir, mais les aimer. Quand la bible hébraïque fut traduite en grec, dans la version connue comme la Septante, pour “amour”, les traducteurs ont utilisé le mot grec agape, l’amour qui se donne pour le bien de l’autre. Ce n’est pas l’amour qui trouve simplement l’autre attirant ou émouvant, mais un amour qui est prêt à s’exercer quelqu’en soit le prix, pour le bien de l’autre. On voit par dessus tout cet amour dans la vie et la mort de Jésus. Aimez la vérité et la paix de cette façon, aimez les toutes les deux ainsi. Nous pouvons même aller plus loin. L’amour de Jésus est un amour qui s’identifie complètement avec l’autre : Jésus porte nos infirmités et nos maladies, il est mis au nombre des pécheurs. Ou, ainsi que le dit l’apôtre Paul “celui qui n’avait pas connu le péché, il l’a pour nous, identifié au péché..” (2 corinthiens 5/21). L’amour “agapé” est un amour qui fusionne avec l’autre, et devient indissociable de l’autre. Nous devons prendre le risque de devenir nous-mêmes vérité et paix. Il n’y a pas d’autre chemin vers la vérité et la paix qu’un engagement passionné qui “excuse tout, croit tout, espère tout, endure tout” et conduit à la croix.

Cet été de 1999, nous en Europe, sommes dans une situation d’échec. Les camps de fortune d’Albanie et de Macédoine remplis de réfugiés, la destruction de la Serbie, sont des témoignages de cet échec. Les essais pour imposer sa volonté par la force et la domination, que ce soit ceux de Milosevic ou de l’OTAN, se sont terminés dans les massacres et l’anarchie. Les blessures sont très profondes et il leur faudra de nombreuses années pour guérir. Mais, nous les chrétiens artisans de paix ne pouvons pas nous contenter de montrer le monde du doigt et de dire : “Nous vous l’avions bien dit. Vous auriez dû nous écouter. Vous auriez dû agir comme nous le faisons.” Mais qu’est-ce que nous faisons ? Qu’est-ce que nous nous attendions à ce que le monde fasse quand il a devant lui des églises qui, aussi bien à l’est qu’à l’ouest, se comportent trop souvent comme des entités nationales et sont effectivement souvent nationalistes ? Et, oserai-je le dire , n’est-ce pas un peu étrange que si nous sommes vraiment des amis de la paix, il y ait tellement de groupes de paix différents en Europe, chrétiens et non-chrétiens ? Ne devrait-il pas y avoir la paix entre les différents mouvements de paix d’Europe ?

“Aimez la vérité et la paix”. Ces paroles prophétiques s’adressent à un peuple qui vit encore avec un sentiment d’échec. Cela se passait cinq siècles avant Jésus, alors que les exilés étaient retournés à Jérusalem après leur soixante dix ans de captivité à Babylone. Ils étaient retournés dans la cité bien-aimée de leurs parents et grand-parents. Elle était toujours en ruine, sinistre témoignage de l’orgie de destruction de Babylone. On recommençait lentement à reconstruire les murs, et poser les fondations du temple où se trouvait jadis le magnifique édifice de Salomon. Mais, bien qu’ils étaient de retour physiquement, beaucoup était encore mentalement et émotionnellement en exil : ils se voyaient toujours comme un peuple vaincu, et encore plus comme un peuple coupable. C’est dans ce contexte que Zacharie prophétise.

C’est un peuple qui connait trop bien l’opposition entre les grandes visions et les grands idéaux d’un côté, et la cruelle réalité de l’autre. Ils ont ramené avec eux les écrits des grands prophètes qui avaient prêché avant et pendant l’exil. Il y a la grande vision d’Esaïe : “Il arrivera dans l’avenir que la montagne de la Maison du Seigneur sera établie au sommet des montagnes et dominera sur les collines... Des peuples nombreux se mettront en marche et diront : Venez, montons à la montagne du Seigneur...Il sera juge entre les nations...Martelant leurs épées, ils en feront des socs, de leurs lances ils feront des serpes. On ne brandira plus l’épée nation contre nation, on n’apprendra plus à se battre.” (Esaïe 2). Et le peuple enroule les rouleaux, et regarde le mont Sion qui leur semble une bien modeste colline, couverte de mauvaises herbes et d’orties. Il y a aussi le magnifique sermon du prophète que nous appelons le second Esaïe et qui prêchait pendant l’exil à propos d’un nouvel exode, un retour à travers un désert miraculeusement transformé et où chaque vallée serait élevée, et chaque montagne abaissée, et la gloire du Seigneur révélée à toute l’humanité... Et le peuple entendait cette lecture, et regardait ceux qui venaient de retourner d’exil s’effondrer de fatigue parmi les ruines. Et cette merveilleuse image dessinée par Ezéchiel, d’une eau donnant la vie jaillissant du nouveau temple, et débordant vers l’ouest pour revivifier toute la création, même la Mer Morte et le désert. Et tout ce qu’il y a à voir c’est la tranchée boueuse laissée par les ouvriers qui sont retournés chez eux, parce qu’ils n’étaient plus payés (réminiscence de Harare pour certains d’entre nous!) .Et tout autour, les voisins hostiles ne veulent pas voir une seule pierre replacée sur les murs de la ville. C’est encore le temps des épées comme celui des charrues...

La vérité ne semble pas très attirante, la paix inaccessible. Les paroles de Zacharie prennent tout leur sens dans la façon dont il fait face à cette situation. Il croit ce que les prophètes ont annoncé concernant un nouvel âge de paix et de gloire pour Jérusalem et pour le monde. Mais il connaissait aussi les dures réalités auxquelles étaient confronté le peuple. Et la vision qu’il reçoit est celle d’un projet qui est à la fois conforme à cet espoir et réalisable pour le peuple qui est là maintenant... C’est pour cela que ces paroles “Aimez la vérité et la paix”, ont un sens pour nous aujourd’hui.

Derrière les paroles de Zacharie, et le long discours qu’elles résument, se trouvent deux idées que nous pouvons nous approprier aujourd’hui. Je vais les appeler Liturgie et Proximité.

Liturgie ! c’est un thème rarement abordé chez les pacifistes. Et l’étude de la liturgie encore moins. Un évêque catholique romain me racontait cette plaisanterie : “quelle est la différence entre un liturgiste et un terroriste ?” Réponse : “vous pouvez discuter avec un terroriste!”. Mais nous ne devrions pas être si surpris de l’interêt liturgique de Zacharie. Bien qu’il n’ait pas été prêtre lui-même, il vient d’un milieu de prêtres et suivait de près la reconstruction du temple. Et une des choses que nous, occidentaux modernes, risquons toujours d’oublier, c’est l’importance des rites et de la liturgie. Ils sont les moyens symboliques par lesquels nous exprimons et affirmons ce que nous considérons comme vraiment important dans la vie. Il semble que Zacharie ait été approché par un groupe de gens qui voulaient savoir s’ils devaient continuer à observer le jeûne du cinquième mois chaque année, comme un temps de deuil et d’abstinence. C’était une question importante car le jeûne du cinquième mois se pratiquait en commémoration de la destruction du temple et de Jérusalem, et avait été observé par les juifs pieux pendant toute la durée de l’exil. Après leur retour, certains continuaient à l’observer. La réponse de Zacharie consiste d’abord à leur poser une question à son tour : “Pour qui avez vous pratiqué ce jeûne toutes ces années ? Pour Dieu, ou pour vous-même, comme vous mangiez et buviez pour vous mêmes ? Et il leur rappela ce que les anciens prophètes avaient décrit comme étant la vraie obéissance à Dieu: “Prononcez des jugements véridiques et que chacun use de loyauté et de miséricorde à l’égard de son frère. La veuve et l’orphelin, l’émigré et le pauvre, ne les exploitez pas; que personne de vous, ne prémédite de faire du mal à son frère”. (Zach 9-10). C’est parce qu’ils n’avaient pas observé toutes ces choses que le désastre avait frappé la génération précédente. Elles doivent de nouveau être notre priorité.

Le jeûne du cinquième mois doit être poursuivi dit Zacharie- poursuivi mais transformé. Ce ne doit plus être une commémoration de la destruction, mais une célébration du nouveau commencement voulu par Dieu avec son peuple. Aussi, le jeûne du quatrième, du septième et du dixième mois “deviendront pour la maison de Juda, des jours d’allégresse, de réjouissance, de joyeuse fête. Mais aimez la vérité et la justice. Dieu fait les choses nouvelles : il pourvoit avec générosité. Il sème la paix, le vin coulera, la pluie tombera,on récoltera une abondante moisson. La participation du peuple est d’aimer la vérité et la paix dans leurs relations les uns avec les autres.

La liturgie traite de la façon dont nous incarnons et traduisons en symboles nos transformations par grâce: la transformation de la défaite en victoire, de l’esclavage en liberté, de la culpabilité en pardon, du conflit en réconciliation, de la mort en nouvelle vie. La liturgie devrait nous donner un avant-goût de la fin. La Cène, l’Eucharistie, c’est un avant-goût de la grande fête qui se déroulera quand, venant de l’est et de l’ouest, du nord et du sud, les peuples s’assieront ensemble dans le royaume de Dieu. Mais une liturgie qui ne nous donnerait qu’un avant-goût de la fin, sans nous aider dans nos luttes et nos maladies présentes, ne tiendrait pas compte de notre condition humaine et de la façon dont la grâce est à l’oeuvre. Une vraie liturgie de la paix devrait nous aider à exprimer à la fois l’authenticité de nos conflits actuels, la souffrance et la colère, et le désir amer de vengeance, comme dans les psaumes. Ils nous faut exprimer ouvertement ces sentiments et les offrir à Dieu qui sait quoi en faire. Zacharie ne méprise pas l’observation du jeûne en tant que tel. Il était bon et sain que le deuil soit observé pour le temple et la ville détruits et pour toutes ces années d’exil. Il y a un temps pour le deuil. Mais justement parce qu’il a été observé, il peut maintenant y avoir un temps pour la fête. Mais aimez la vérité et la paix. Travailler à des liturgies de vérité et de paix est une tâche pour les églises d’aujourd’hui.

Maintenant la proximité.
Zacharie nous dépeint une nouvelle Jérusalem belle et très humaine : une ville dans laquelle les rues sont remplies de gens âgés assis avec leur canne, et d’enfants qui jouent. C’est une communauté d’abondance partagée et de sécurité, où chacun dit la vérité lors des jugements aux portes de la ville, et où les jugements apportent la paix. C’est pratique et concret. Mais ne pourrions nous pas penser que c’est une image plutôt simpliste ? Qu’est devenue la grande vision prophétique et universelle de paix sur la terre entière ? Cette vision où le loup se couche avec l’agneau, où la terre est remplie de la connaissance du Seigneur comme les eaux couvrent la mer ...En fait, Zacharie a conservé cette vision. Il donne un aperçu de la façon dont elle va commencer à se réaliser. Jérusalem, dit-il peut être une telle merveille que les peuples de toutes les nations voudront venir la voir et y adorer Dieu. Jérusalem devient une ville locale à la signification universelle. Ainsi Zacharie rapproche sa grande vision et la réalité du monde. Il n’a pas une grande stratégie à imposer au monde entier. Il a l’image de sa propre communauté, mais qui peut alors attirer le reste du monde. Une lumière pour éclairer les gentils.

Un des lieux les plus bouleversant que j’ai visité, au moment de la fin de la tragique guerre civile du Liban, c’était la communauté de Chouifat à Beyrouth. C’était un grand bâtiment construit juste sur la dite ligne verte entre les secteurs est et ouest de cette ville amèrement divisée. Ses habitants refusaient, et de fuir les bombardements , et de laisser leur maison être transformée en fortifications par l’un et l’autre parti. Ils dirent “Vous ne pourrez pas nous faire déménager, vous ne pourrez pas nous diviser, nous restons ensemble”. Et ils restèrent. Avec l’aide du conseil des Eglises du Proche Orient, ils obtinrent de nouvelles réserves d’eau; ils gardèrent leur clinique ouverte, ils développèrent leurs propres sources de revenu. ils s’assurèrent qu’une aire de jeu était toujours dégagée, sans détritus ni mines. C’est pour moi une parabole pour notre temps.

“Aimez la vérité et la paix”. Aujourd’hui, nous ressentons fortement le besoin que ces mots puissent s’appliquer au niveau mondial. Et effectivement nous avons beaucoup à faire au niveau mondial et international; et beaucoup de questions à poser concernant la crise du Kosovo : au sujet du rôle des Nations Unies, des vraies intentions de l’OTAN, du rôle de l’industrie de l’armement, de l’ordre économique mondial.

Mais ne serait-ce pas maintenant le temps de s’attacher, de beaucoup plus prêt que nous ne l’avions fait auparavant, à la pratique de la vérité et de la paix au niveau local ? C’est une chose de dénoncer l’exploitation des différences ethniques par des politiciens peu scrupuleux. Mais pourquoi les communautés locales sont-elles été une proie si facile ? Est-ce que les vraies questions ne concernent pas l’avenir de la paix ? Comment les communautés locales pourraient être consolidées pour leur permettre de faire face et de résister à ceux qui voudraient, dans leur soif de pouvoir, les diviser et les exploiter ? Comment pourrions-nous aider les communautés locales à rester unies, à devenir économiquement et culturellement capables de résister aux manipulations extérieures et à l’exploitation ? Du Kosovo jusqu’en Irlande du Nord ? Du Rwanda jusqu’au Sri Lanka ?

Pour arriver à un nouvel ordre mondial , nous devrions être préparés à penser et à agir plus localement dans notre travail d’artisan de paix. Nous devrions oser demander à certaines communautés en Europe : qu’est-ce qui pourrait inciter le reste du monde à les remarquer, à avoir envie de venir et de découvrir ce qui leur permet de vivre ensemble ? C’est dans l’amour de la vérité et de la paix dans la communauté locale qu’une vision universelle se projette sur la réalité contemporaine.

La vérité et la paix vont ensemble, quand elles sont vraiment aimées, aimées avec la passion de l’Esprit, le propre amour de Dieu. T.S. Elliot, qui avait dit que les êtres humains ne peuvent pas supporter la réalité à trop forte dose”, a peint l’amour transformateur de la Pentecôte dans le même cycle de poèmes :

La colombe en descendant coupe l'air
De flammes d'incandescentes terreurs
Toutes les langues déclarent
La libération des pêchés et des erreurs.
Le seul espoir, ou bien désespoir,
Réside dans le choix entre le bûcher et le bûcher -
Etre sauvé du feu par le feu.

Mais aimez la vérité et la paix.

Traduction : Sylvie Gudin Poupaert

(The dove descending breaks the air/With flame of incandescent terror/Of which the tongues declare/The one discharge from sin and error./The only hope, or else despair/Lies in the choice of pyre or pyre - /To be redeemed from fire by fire)